Arthur, si exploité, a-t-il encore des secrets pour vous ?

Nous avons eu la chance d’interviewer William Blanc, historien, professeur à la Sorbonne et auteur d’ouvrages analysant, entres autres, des mythes ou des œuvres fictives sous un regard historique. Nous avons abordé le mythe Arthurien avec lui. L’interview devait durer 30 minutes et a finalement duré 1 heures 20. Et, croyez-moi, on n’a pas vu le temps passé !

Loin du cliché de l’historien chercheur barbu, faisant sa visio devant sa bibliothèque (bon ok, il y en avait une petite…), et se montrant très pointu sur son domaine de recherche, au point de rendre son propos difficilement accessible ; nous avons eu affaire à un homme à la pédagogie fine et suintant la passion bien grasse. En gros, un gars cool, passionné, stylé et très calé sur le sujet que nous voulions aborder.

Comment en est-il venu à s’intéresser à la légende Arthurienne ? Historien spécialiste du Moyen-Age (= médiéviste) ayant fait un master sur l’aspect économique et social des paysans durant une partie de cette longue période, il en est venu à étudier ses représentations contemporaines. Notre cher William est aussi fan de Fantasy et de Jeu de rôle depuis l’adolescence. Cela a induit chez lui une fascination pour le Moyen-Age. Parmi tous les sujets, il était particulièrement intéressé par le mythe Arthurien. Il a donc travaillé sur ce sujet titanesque, ce qui amené à un livre (assez épais !) : Le roi Arthur, un mythe contemporain.

Contemporain mais pas forcément indémodable, selon lui. Car il y des moments dans l’Histoire, comme le XIXème siècle, où le mythe n’était pas à la mode. La mode contemporaine est réellement venue au début du XXème siècle avec le développement du cinéma américain. La Fantasy vient du monde anglo-saxon et on peut en trouver dans le mythe Arthurien. Par exemple, dans Kaamelott, on peut trouver des références à Warhammer, Star Wars ou Star Gate. C’est à la mode car ça parle de nous ! Pour cela, deux approches : soit une description d’une époque sombre moyenâgeuse et une ère moderne plus vivable que la précédente, soit de la Fantasy classique (trilogie du Seigneur des anneaux) ancrée dans la perception contemporaine du lien perdu avec la nature. En exemple pour ce dernier : le centre de l’imaginaire Arthurien en milieu de Bretagne, près de la forêt de Brocéliande. Il faut savoir que le Moyen-Age, c’est 1000 ans d’histoire. L’histoire d’Arthur se serait passée au XIème siècle mais trop peu d’informations existent pour dire qu’il a réellement existé. Certains auteurs de cette époque se concentrent plus sur l’histoire du souverain et d’autres sur l’histoire des chevaliers.

Si ce mythe fonctionne autant chez les scénaristes et auteurs, c’est que, selon William Blanc, on peut faire ce que l’on veut étant donné qu’il n’existe pas de copyright. Il y a pleins de personnages donc pleins de versions possibles. Plusieurs médias peuvent aussi s’y pencher… C’est donc une œuvre Trans-médiatique. Des Tropes (lieux communs) donnent des repères familiers. D’après l’historien, « on se dépayse dans des endroits familiers ». Il existe même du tourisme, des pubs et du merchandising Arthuriens ! Pour les locaux de Bretagne, penser à la brasserie Lancelot.

La question du monomythe nous trotte alors dans la tête. Pour William Blanc, il n’est scientifiquement pas bon. Tous les mythes regroupés ? Vraiment ? Et bien non car, par exemple, cela ne marche pas avec le mythe Arthurien. La théorie de Campbell voudrait dire que les bardes celtes et vikings auraient eu les mêmes ressorts scénaristiques dans leur conte ? La réponse est tout simplement pas du tout. Les créateurs aujourd’hui ne sont pas dans le même contexte de création qu’avant. Enfin, il vous faut savoir que le rapport au mythe est différent selon les époques. En gros, au Moyen-Age les gens croyaient au mythe Arthurien, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

La frontière entre histoire et fiction dans cette légende dépend selon les époques, explique-t-il. Par exemple, dans les années 1960-70, les nationalistes Gallois disaient qu’un roi Arthur Gallois avait existé. Mais il y a tellement d’absence de preuves de l’existence du roi Arthur historique que le roi Arthur est bien une figure mythologique. Comme nous a bien dit William Blanc, « la plupart des gens ne sont pas intéressés par le Moyen-Age historique ». Il prend l’exemple des fêtes médiévales où, il y a 20 ans, on peut y voir des pirates… C’est devenu une sorte d’escapisme (de fuite dans l’imaginaire) comme ce qu’a pu faire Tolkien, auteur du Seigneur des anneaux après le monde de la première guerre mondiale et ses tranchées.

Comment cette culture du héros crée parfois un outil pour fonder des romans nationaux ? William Blanc prend un exemple d’actualité : le conflit Russie-Ukraine. Selon Poutine, l’un des berceaux de la Russie est basé à Kiev. Cela a aussi donné pendant l’histoire de la Russie une justification pour les princes de Moscou ou les Tsars pour l’occupation de l’Ukraine car, selon eux. En France, dire que la France est une nation millénaire et a été fondée par Clovis car Clovis était le roi des Francs, « c’est refuser le fait que la nation change, est perméable au temps ». Autre exemple, la France est une nation chrétienne depuis Charles Martel. Le problème est que, selon William Blanc, on manque de notes sur le sujet. De toutes manières, toutes les nations font des romans/récits nationaux. Que ce soit pour la Russie ou pour la France, cela relève du fantasme car dire que le Moyen-Age est la source de la nation, c’est évacuer la notion de changement. A l’époque, il n’y a pas de cartes donc pas la même notion de l’espace. Les constructions mentales sont changeantes selon la culture et le temps. Et le mot de la fin revient à une œuvre conseillée par notre très cher historien : Donjons et Dragons, référence et pionnier du Jeu de rôle.

Hugo Rocaboy

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