Ben Névert, pas viril mais complice ?

Après la lecture de Je ne suis pas viril de Ben Névert, publié chez First en 2021, nous n’avons malheureusement pas eu la chance de l’interviewer, ce dernier n’ayant pas répondu à nos nombreuses sollicitations. L’ouvrage, dont l’édition est très colorée, tente de déconstruire la masculinité ou la virilité – sans en faire la distinction – au travers du témoignage biographique du youtubeur.

Dans Je ne suis pas viril, il est question de problèmes de confiance en soi, d’hypersensibilité, d’amour et de sexualité. Bien qu’intéressant, et plutôt destiné aux adolescent.e.s, le livre reste en surface et met de côté un certain nombre de questions qui nous paraissent essentielles. Si vous voulez approfondir le sujet, nous vous conseillons plutôt les nombreux et excellents podcasts de Victoire Tuaillon (« Les couilles sur la table »), qui aborde tour à tour avec ses invité.e.s les masculinités noires et asiatiques, les preuves de la virilité, les travailleurs du sexe, la masculinité dans des villages de campagne, les boys club ou encore le monde politique.

            Longtemps oubliées, les Men’s Studies, ou études des masculinités, sont nées à la fin du XXe siècle, notamment à partir des travaux de Raewynn Connell, sociologue australienne. Elle propose une classification des masculinités, entre hégémonique, complice, subordonnée et marginalisée.

D’abord, la masculinité hégémonique est la forme de masculinité qui domine les autres. C’est l’idéal à atteindre pour un grand nombre de garçons et d’hommes, dans une société donnée. Elle est traditionnelle et habituelle : elle correspond à un certain nombre d’attributs corporels ou relationnels, allant de la force physique à l’agressivité en passant par la domination des femmes et de leurs corps. On retrouvera ce type de masculinité dans les représentations au cinéma par exemple, mais aussi chez les héros, en politique ou encore chez les athlètes. Il est important de souligner ici le caractère historiquement situé de ce que l’on entend par masculinité hégémonique. Celle-ci varie dans le temps et ce n’est pas parce qu’elle prend de nouvelles formes, que l’on considère moins archaïques, que pour autant elle disparaît. Ces normes hégémoniques vont notamment servir à assurer la domination masculine, à assigner des places aux unes et aux autres, ainsi qu’à hiérarchiser les différentes formes de masculinités.

La masculinité complice, qui concerne la plupart des hommes, correspond à ceux qui aspirent à rejoindre le groupe dominant qui les tolère même s’ils manquent de quelque chose pour atteindre la masculinité idéalisée. La masculinité subordonnée, quant à elle, comprend ceux qui sont en position de dominés, qui ne sont pas les « vrais » hommes et qui peuvent faire l’objet de persécutions. Les masculinités se définissant en opposition à un « concept naturalisant » et traditionnel de féminité, ceux qui sont en bas de l’échelle sont considérés comme ayant une forme de féminité. C’est ce qui explique qu’on enjoint aux garçons et aux hommes à ne pas montrer leur sentiments, l’émotivité étant plutôt considérée comme l’apanage des filles et des femmes.

Enfin, Connell, en reprenant les apports de l’intersectionnalité – ce qui est oublié dans le livre de Ben Névert – évoque les masculinités marginalisées, pour complexifier et préciser les liens qui peuvent exister entre genre, classe, race et pouvoir. Rentrent dans ce cas de figure la masculinité des classes populaires ou encore celle des hommes noirs, par exemple.

Une autre grille de lecture, celle de la performance et de la performativité butlerienne, peut nous permettre de penser la circulation entre ces différentes masculinités : En prenant l’exemple des drags queens, qui performent un sexe qui n’est pas le leur biologiquement, Judith Butler en conclut que les personnes dont le genre correspond au sexe qui leur a été assigné performent également inconsciemment leur genre. Performer, c’est jouer et répéter des normes de genre : je suis un garçon parce que je me comporte comme tel et j’intègre ce modèle par la répétition (tout au long de ma vie). La performance de genre permet sans doute de mieux saisir la variation de nos comportements masculins en fonction des situations et des groupes sociaux dans lesquels on se trouve. Ainsi, je ne performerais pas ma masculinité de la même façon dans mon environnement de travail, dans un club de football ou entouré de femmes. Les apports de Butler nous donnent également, en distinguant sexe et genre, la possibilité d’envisager d’autres types de masculinités marginalisées ; par exemple, celle prônées par certaines catégories de femmes, comme c’est le cas des lesbiennes butch[1].

S’il existe une typologie des masculinités et une circulation entre elles, il est un avariant que n’exprime pas Ben Névert dans Je ne suis pas viril et qui nous apparaît important de souligner : le privilège masculin. Pour reprendre les mots du sociologue Éric Fassin, « le privilège de la masculinité c’est le fait que si moi aussi je rentre tard le soir, et si j’entends des pas derrière moi, j’aurais moins besoin de me retourner. Il y a des attentes liées à des expériences réelles mais aussi à la vie ordinaire avec toutes ses représentations qui font que nous n’avons pas tout à fait les mêmes subjectivités. En matière de masculinité, cela se traduit par le fait de ne pas avoir le même salaire que les femmes, de ne pas avoir la même retraite que les femmes, etc. etc. Nier les privilèges c’est nier le fait, qu’avant d’avoir fait quoique ce soit, on part avec quelque chose en plus. »

On doit rendre au livre de Ben Névert sa place, celle d’un témoignage, d’un manuel de survie, qui aborde en surface la question des masculinités. L’auteur refuse d’aborder des questions essentielles, comme l’homosexualité (« Je ne parlerai pas des masturbations entre potes dans ce livre… »). Certains points sont traités à l’emporte-pièce, comme le porno, qualifiée de simple fiction à ne pas recopier. Aussi, l’absence de politisation d’une grande partie des questions traitées par Je ne suis pas viril nous paraît problématique ; l’ouvrage ne donnant pas, à notre sens, les clés pour penser les masculinités dans leur complexité alors même qu’il se donne pour objectif de les déconstruire.

Samuel Da Costa & Alexis Le Cocquen

[1] Sur ce point, v. S. Bourcier, Queer Zones : la trilogie, Paris, Éditions Amsterdam, 2021.

Sur le même thème

Ben Névert, pas viril mais complice ?

Plongée dans le grand bain de la sexualité des ados

Éducation à la sexualité : Mieux vaut prévenir que guérir

Comment la SexTech « éveille les esprits »

Avec Ovidie, libérez-vous des injonctions !

Création littéraire avec Vincent Rocher

Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution