Cabu, ses rires et mes souvenirs

Pendant plus de 60 ans de carrière journalistique, Cabu a décrypté la société au travers de reportages dessinés ou de dessins satiriques. Retour sur certains des traits de ce grand dessinateur, que j’ai eu la chance de côtoyer, à l’occasion de l’exposition Le rire de Cabu*, à Paris.

Il aimait que l’on dise qu’il dessinait « à la plume ». Les dessins originaux affichés entre les murs de l’hôtel de ville de Paris permettent cependant de s’apercevoir que Cabu découpait et collait ses textes ou différentes parties du dessin. Jusqu’à recourir au Tipex pour modifier son dessin jusqu’à ce qu’il en soit satisfait ! En voyant les textes remplacés par d’autres, c’est comme si nous pouvions voir le cheminement de sa pensée. Cabu encourageait à changer d’outils (plume, marqueurs, feutres, pinceaux) afin de varier les traits. Par exemple, pour la couverture d’un hors-série jeux été avec Dominique Strauss-Kahn, nous voyons au premier plan l’utilisation de marqueurs ou feutres épais, puis au second plan, celle de la plume et de l’encre de Chine. La juxtaposition des traits épais et fins donne de la profondeur au dessin.

Et puis, arrive le focus musical. Cabu avait un côté « ringard » avec sa passion pour Charles Trenet et l’air de s’être arrêté musicalement au Jazz « Swing » des années 30-40, celui des « Big-Bands » et de Cab Calloway. En même temps, ses dessins donnent envie d’écouter cette musique ! Mais pour en avoir un peu parlé avec lui, il connaissait aussi certains noms du jazz actuel. Il co-animait une émission, « Le Jazz qui déménage », à la radio TSF Jazz, avec Laure Albernhe. Il se faisait d’ailleurs parfois charrier sur ça par quelques membres de la rédaction. Cabu en riait, tout en ayant dans le regard l’air de dire qu’il les avait tous formés. Cela lui donnait un petit côté « patriarche des dessinateurs ». C’était important pour lui, je pense, de transmettre aux plus jeunes le goût du journalisme, par le biais des « reportages dessinés » dont on lui attribue aujourd’hui la paternité.

En slalomant dans les allées, on peut entendre les éclats de rire de Cabu. Le caricaturiste était bon public, ne lançait pas forcément les blagues, mais riait à celles des autres. Les reportages-dessinés de Charlie devaient être drôles, car c’était, selon lui, la plus-value du journal. Sans humour, dans les textes voire dans les dessins, le reportage était bon pour d’autres journaux comme Libération ou le Monde. Il avait cette image de dessinateur consensuel, uniquement résumé à ce qu’il avait fait au « Club Dorothée ». Mais, même dans ses derniers dessins, il pouvait être très cru, sur la pédophilie dans l’Eglise par exemple.

Cabu était un artiste reconnu par tous, il travaillait sur différents supports papiers, à la radio, la télé mais aussi sur des illustrations de pochettes de disques. Ses valeurs étaient la lutte « contre l’injustice et la connerie », qui étaient mises en lumière par ses dessins provocateurs destinés à donner à réfléchir. Pour entrer à l’exposition, nous avons passé plusieurs SAS de sécurité, comme dans les aéroports, et laissé les bouteilles d’eau ou de gel hydroalcoolique au sol, dehors, le long de l’Hôtel de Ville. Cinq ans après son assassinat, il faut maintenant protéger ceux qui veulent simplement voir les dessins de Cabu !

Zacharie Heiss

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