Création littéraire
Quand la musique s’invite dans nos lits
Grâce à Vincent de Détours de disques et sa vinylothèque ambulante, toute l’équipe a pu profiter des centaines d’albums spécialement sélectionnés pour leur relation au sexe ou à la sexualité. L’objectif ? Écrire des chroniques de chansons ou d’albums emblématiques (ou pas) qui interrogent notre rapport à la sexualité et son « historicité musicale ». Car chaque décennie impose ses problématiques et thématiques à l’image de la libération sexuelle dans les années 60 ou de l’androgynie et du droit à la différence des 70’s. Voici une petite mise en bouche d’ambiance musicale à découvrir sur n’importe quelle plateforme streaming digne de ce nom !
NIRVANA – Rape me tiré de l’album In Utero (1993) par Elisa Poulain
« Rape me », titre à la fois dérangeant et contradictoire traduit en français par « viole-moi », est une chanson de Nirvana écrite par Kurt Cobain et sortie en 1993 dans l’album « In Utero ».
Les paroles sont à l’image du titre. Elles consistent principalement en une répétition incessante de « Rape-me ». Faute à un manque de contextualisation et d’explications dans ce choix de paroles, la chanson est incomprise et créée de grosses polémiques.
Plus tard, l’auteur fait cependant part de ses intentions lors de son écriture. Il aurait voulu interpréter le rôle de victime de viol ! Ceci tout en menaçant les potentiels agresseurs de se retrouver en prison et de se faire violer à leur tour. Dans une interview, Kurt Cobain cite les pensées du personnage qu’il interprète : « Cet encu*é va avoir ce qu’il mérite. Cet homme va être arrêté, il ira en prison et sera violé. Alors viole-moi, finissons -en, et ça va se retourner contre toi »
Je ne vais pas mentir, j’aime beaucoup cette chanson, mais elle me met assez mal à l’aise. Il est impensable de dire un jour à un potentiel agresseur : « viole-moi ». Si l’on pense au contexte dans lequel cette phrase pourrait être prononcée, et cela de manière réaliste, on ne peut que s’imaginer dans la peau de la victime : au moment fatidique, où elle se retrouve simplement animée par la haine. Avec le seul et triste espoir qu’il lui reste : que justice soit faite !
Au final une chanson tragique et déchirante. Tant les paroles que la musique, on n’en ressort pas indemne ; troublé et secoué. Avec un sentiment de fatalité terrifiant !
FKA TWIGS- LP1 (2014)
La première chose qui attire avec l’album LP1, c’est sa pochette. Le visage de la chanteuse sur un fond cyan, maquillée avec ce qu’on présume être des bombes aérosol aux couleurs rose, rouge et violet. Le tout donnant à sa peau un effet glacé. Elle semble nous regarder mais son attention est autre part ! L’air rêveuse, penseuse, comme une poupée ou un robot mélancolique. Une impression de faux se dégage de cette image… On ne sait pas si c’est une photo ou une création 3D ? Le maquillage luisant ressemble à une carrosserie fraîchement peinte, renforçant cette impression robotique et futuriste.
Mais cette impression ne s’arrête pas à la pochette ! Les chansons de FKA Twigs, que l’on peut décrire comme de la trip-hop futuriste, ont une ambiance sonore parfois inquiétante avec des effets robotiques, type glitch ajouté. La voix de la chanteuse est aiguë, féminine, langoureuse et douce, parfois désespérée. Dans certains morceaux on peut entendre des soupirs comme si elle chantait pendant qu’elle faisait l’amour. En effet, les paroles sont évocatrices, parlant de sexualité et d’amour. Sa voix sensuelle, qui bug et se fragilise de temps à autre, peut faire penser à un androïde qui chante à ses clients dans un hôtel. On a comme une impression d’être propulser en apesanteur dans une station spatiale abandonnée ou dans une ville cyberpunk plongée dans le noir : futuriste, froid, aseptisé…
Inquiétant mais attirant ! Comme lorsqu’on s’imagine des bâtiments minimalistes où des machines qui chantent leur vie dans un espace sans humains. Comme une rêverie hallucinée… une réalité virtuelle : des machines qui auraient développé des sentiments…
Eden Le Reux
BETTY DAVIS – Anti love song tire de l’album éponyme Betty Davis (1973)
« Queen bitches » ou bien « reine du funk salace », Betty Davis est une icône de sa génération car elle a laissé libre court à sa sexualité dans les paroles de ses chansons !
Mais qui est donc cette reine du funk qui vous charme dès les premières notes ?
Betty Davis née Betty Mabry le 26 juillet 1945, est une chanteuse de soul/funk. Elle a été la seconde épouse de Miles Davis (d’où son nom), elle a beaucoup influencé sa musique notamment en lui ayant fait découvrir le rock psychédélique de Hendrix et le funk de Sly Stone. Elle sort son premier album en 1973 nommé « Betty Davis ». Très critiquée pour ses morceaux sexuellement explicites, elle joue avec les tonalités de sa voix, frôlant le « scream » par moment, et la module pour nous attirer ! Ce fut une des pionnières à faire des morceaux aussi explicites pour l’époque, ce qui lui valut par la suite le surnom de « reine du funk salace ».
Le morceau « anti love song » m’a particulièrement happé, elle adoucit sa voix pour donner quelque chose de très suave, sexy, toujours avec cette voix rocailleuse qui insiste encore plus sur certain mot en fin de phrase ! C’est à vous en donner des frissons… de plaissiiir ! Elle nous susurre à l’oreille qu’elle ne veut pas nous aimer mais sa voix nous aguiche. Il y a un rapport clair de domination qui est établi. J’insiste sur sa voix ! Mais la musique n’est pas moins excellente : les riffs et les groove de la basse ne sont pas à laisser de côté et font vibrer le morceau.
Une pionnière : « jeune et sauvage » sont les mots utilisés par Miles Davis lors de leur divorce ! Elle affirme sa sexualité et son indépendance. Avec jouissance et sans concession !
Alexis Le Cocquen
STEREOLAB – The flower called nowhere tiré de l’album Dots and Loops (1997)
Quel groupe représenterait le mieux l’insouciance de l’amour, la naïveté du premier baiser, le sexe sensuel et tendre ? Qui d’autre que Stereolab pourrait concourir à la place de chef d’orchestre d’ébats torrides et langoureux. Ce groupe franco-anglais à la discographie parfaite formé au début des années 90 à la musique hybride, est devenu l’une des pierres angulaires du shoegaze/krautrock. Le chant angélique de la française Laetitia Sadier donne un goût sucré a Stereolab ! S’y ajoute leur sublime musique qui ferait fondre le cœur de n’importe quelle brute.
Le morceau dont j’ai envie de vous parler est le magnifique « The flower called nowhere » de l’album « Dots and Loops » sorti en 97 et réédité sur l’excellent label anglais Warp Records. Cette chanson est la musique pour un fellation parfaite selon Pharell Williams ! Les répétitions font comme des Loops, qui eux-mêmes feraient penser à mouvement de va et viens : un mouvement de bassin. Un morceau où le sexe est langoureux, beau et prend son temps. Un titre qui donne envie d’apprécier ce moment charnel : tous les instants, toutes les notes… Une arrivée aux septièmes ciels de la plus majestueuse des manières ! Une bande son pour s’envoyer en l’air dans un ciel turquoise ensoleillé. On sentirait presque les effluves des étreintes à travers le disque avec sa pochette verte très minimaliste aux formes géométriques ! Dans la pure tradition des visuels de Stereolab.
Un parfum de fleur ressort de ce morceau ! Peut-être celle mentionnée dans le titre ? Cette fameuse fleur venant de nulle part qui nous laisse la tête dans les nuages : avec l’image de deux corps entrelacés dans l’herbe au beau milieu d’un champ.
Benjamin Bucaille
LED ZEPPELIN – Stairway to heaven tiré de l’album Led Zeppelin IV (1971)
« Stairway to Heaven », un morceau de musique absolument immanquable du groupe « Led Zeppelin ». Environ huit minutes de progression douce et rythmée que beaucoup de fans voient comme la métaphore d’un moment sexuel intime. Tout d’abord la douceur et la tendresse, puis les préliminaires et enfin l’orgasme, le climax de la chanson.
Je ne partage pas du tout cette vision ! Quand bien même j’en comprends les analogies, les paroles de « Stairway to Heaven » sont selon moi bien trop explicites pour se pencher sur cette interprétation. Elles me semblent bien plus représenter une quête du bonheur, une invitation au voyage et une ouverture aux opportunités. Le bonheur n’y est pas montré comme quelque chose que l’on construit mais plutôt comme une mélodie qui nous viendrait enfin si l’on daigne tendre l’oreille !
Alors on nous montrerait comment tout se change encore en or ? Lorsque « Tout est un et qu’un est tout » et que l’on parvient à « être une pierre et ne pas rouler ». Ces citations traduites ne viennent que des derniers vers du texte de la chanson ; la conclusion de cette œuvre !
La question peut bien évidemment subsister, mais ces paroles me semblent explicitement tenter de faire un éloge du bonheur, de la sérénité, de l’unité et enfin de la stabilité : « To be a rock and not to roll ».
Akira Prim
SEBASTIEN TELLIER- Sexuality (2008)
A première vu Sébastien Tellier semble chevaucher un désert rose mais si l’ on prend du recul on constate que cette étendue est le corps nu d’une femme ! Son téton étant le sommet d’une dune ! L’ambiance est posée. On retrouve un coté très flashy qui peut faire penser aux films Drive, Only God Forgives, Neon Demon de Nicolas Winding Refn.
Sébastien Tellier est un compositeur de musique électronique, il est notamment connu pour avoir participé à l’Eurovision en 2008 avec le titre la « Ritournelle » issu de son deuxième album « Politics ». Aujourd’hui il fait partie des artistes de référence dans la musique électronique avec Jean-Michel Jarre et les Daft Punk.
Sexuality donc ! Album au titre évocateur composé de onze titres. Sébastien n’a pas réalisé́ cet album seul il s’est beaucoup inspiré de sa femme. Pour le titre « Pomme » on retrouve des orgasmes qui auraient été enregistrés pendant leurs ébats sexuels selon ses dires. Ceci donne à l’album un côté très féminin qui peut surprendre au début. Pour ce qui est du style musical on retrouve un coté très « années 80 » avec une utilisation poussée du synthé́ notamment pour les titres « Roche » et « Une heure ». Des touches de modernité dans la production sont pourtant bien présentes pour cet album sorti en 2008.
C’est un album qui s’écoute avec feeling, en dilettante, au vu du peu de paroles. Un voyage sensuel mélangeant sonorités planantes et passages plus énergiques comme « Sexual Sportswear » qui peut faire penser à un autre artiste Kavinsky. Comme une prémisse au Nightcall du film Drive.
Et si la sexualité́ n’était que simplicité́ et sérénité́ ? C’est la vision que Sébastien tente de nous transmettre. Mission accomplie.
Clément Gilberton
Avec Vincent Rocher – Détours de disques
Détours de disque, voyage au centre du sillon
Lors d’un atelier un peu particulier, nous avons pu rencontrer Vincent Rocher, qui nous a proposé de chroniquer un album ou une chanson en rapport avec le sexe. Le médium qu’il utilise est le vinyle et, à l’aide de platine, nous avons pu poser l’oreille sur l’une des œuvres de son catalogue personnel pour nous plonger dans des univers divers et variés. En effet, ce sont ses vinyles personnels, sa propre collection qu’il met à disposition pour cet atelier nommé « Détour de disques » et qu’il présente à différentes occasions à Rennes depuis un peu plus d’un an.
Vincent est donc à l’initiative de ce projet qu’il décline aussi bien avec des jeunes que lors de festivals dont la musique est au cœur de l’événement. Pour cet ancien professeur, la musique est l’une des grandes absentes des pratiques de classe. C’est pour cela que ce projet lui est venu en tête. A la base destinée au milieu scolaire, il vise aujourd’hui un public plus large. L’idée d’utiliser le vinyle pour ses ateliers est dû au fait que « cela permet de mettre en avant l’œuvre artistique dans son ensemble », souligne-t-il. C’est-à-dire que tous les aspects de l’objet sont mis en valeur : la pochette, la musique, l’artiste et tout cela bien plus que sur n’importe quel autre support.
Son atelier « Détour de disques » peut également être programmé en festival, où il peut adapter sa sélection selon le thème adéquat. Par exemple, au Grand Soufflet, dont le thème était « modernité et traditionnel », Vincent avait préparé une sélection de vinyle avec du rap japonais old school, de la musique tropicaliste brésilienne… Des choses qui donnent envie de tendre une oreille vers ces petites merveilles. L’atelier est basé sur un échange avec le public, qui donne son ressenti sur ce que Vincent propose d’écouter. C’est donc un exercice qui met l’individu en connexion avec la musique, qui pousse à développer un esprit critique et à exprimer des sentiments sur ce qu’on écoute. Une vision plus viscérale et sensorielle de la musique, au lieu d’une écoute distraite, où la musique ne serait qu’un outil pour éviter l’ennui. Cet atelier, c’est remettre les sentiments au centre de la musique. Musique qui, il ne faut pas l’oublier, est un art avant une industrie, une passion avant un métier. Vincent est passionné de musique et ça se sent : quand il parle de ses vinyles, il parle de ses bébés. Quand je lui ai demandé qui était son artiste de prédilection, il lui était impossible de n’en choisir qu’un. La question a dérivé sur un.e artiste moderne qui représente le mieux la créativité. L’heureux élu fût Kendrick Lamar, soit un artiste polyvalent, imprévisible et toujours dans la recherche de son et de nouveauté.
« Détour de disques » est donc une expérience qui convaincra aussi bien les néophytes que les passionnés de musique, c’est un espace d’échange où le ressenti de la musique prime. Il y en a pour tous les goûts dans la collection de Vincent, vous y trouverez sûrement cellule à votre sillon !
Benjamin Bucaille
Création littéraire avec Ali Khelil
Tisser sa toile