Quand la compensation du handicap permet de surpasser la norme et dépasser l’humain
Yohann Véron nous accueille au fablab (laboratoire de fabrication) de l’association My Human Kit (MHK). Nous venons lui parler de transhumanisme, ce mouvement qui promeut l’utilisation de la technologie pour augmenter les performances de l’humain. Est-ce que MHK se retrouve dans cette définition ?
MHK permet depuis 2014 la création d’aides techniques pour et avec des personnes en situation de handicap. Une aide technique est un dispositif qui représente une solution à un problème quotidien. Chaque personne peut venir avec sa problématique et, accompagnée de bénévoles, va participer à la production d’une solution et à la fabrication de celle-ci. Chacun apporte alors ses compétences et sa créativité. Le côté humain, social et le partage étant au cœur de ces projets, on parle alors de « Humanlab ». Une fois que le projet est terminé, les plans sont partagés en open source, afin que toute personne puisse le reproduire. Cela n’a donc pas vocation à être commercialisé. Il n’y a pas de limites aux créations si ce n’est de ne pas nuire aux autres.
D’un autre côté, on assiste au développement du lobby transhumaniste, notamment avec la création d’une université en face du siège de Google dans la Silicon Valley. La technologie augmentée est au centre du mouvement, avec la fusion de l’homme et du robot, pour rendre le corps plus performant quitte à perdre la naturalité de l’être humain (choix des caractéristiques du bébé avant la naissance, opération pour la vue perçante du golfeur etc.). Cela s’adresse aux plus riches et est donc élitiste, le Tiers Monde n’ayant même pas accès au premier stade de la technologie qu’est l’internet. Ce sont également les grandes entreprises qui possèdent ces technologies et l’Etat peut y avoir accès. La vocation d’améliorer l’existant peut alors être instrumentalisée, notamment lors d’un Etat d’urgence par exemple.
L’association MHK a débuté avec la fabrication d’une main bionique, pour une personne amputée. L’objectif étant l’autoréparation ou l’amélioration de la vie au quotidien (pour ceux qui n’ont pas de main par exemple). Que penser de la main robot plus performante que la main humaine ? La compensation du handicap par la technologie fait d’une faiblesse une force, c’est-à-dire que l’on passe d’une situation où l’on a quelque chose en moins à celle où l’on a quelque chose en plus. Le travail en équipe et la réalisation de son projet permettent à la personne en situation de handicap de développer des compétences, sa propre force et de « transformer sa limitation en motivation ». MHK a travaillé par exemple sur l’électrisation d’un fauteuil manuel à l’aide de moteurs électriques de vélo, afin d’aider la personne en fauteuil à monter les côtes. Une autre aide technique réalisée est une sorte d’imprimante en braille, développée par deux bénévoles, qui vaut cinq fois moins cher que celle du commerce, est moins bruyante et deux fois plus rapide.
On peut toujours se poser la question si ces progrès bénéfiques ne vont-ils pas uniformiser l’être humain, avec le gommage des différences. Le monde de demain ne sera-t-il pas déshumanisé ?
La technologie actuelle connaît des dérives avec par exemple les assistants domestiques qui nous écoutent en permanence et les GAFA qui utilisent les données personnelles à des fins commerciales, ou alors les programmes de reconnaissance faciale qui espionnent les gens grâce aux milliers de caméra dans les rues. Le risque est alors que la technologie ne nous rende pas meilleurs mais moins humains. Il y a aussi la question éthique par rapport à l’accès à cette technologie augmentée à travers le monde, qui favorisera encore plus les inégalités, comme par exemple cette mannequin doublement amputée des jambes qui peut changer de prothèses comme de chaussures, faisant ainsi des envieux alors que dans les pays pauvres les amputés n’ont même pas accès aux fauteuils roulants.
Dans le cadre de ses projets, MHK a une posture naviguant à la limite avec le transhumanisme. Au départ il s’agit de compenser le handicap par la technologie, mais le résultat est une amélioration de l’humain.
Le fablab est ouvert tous les jeudis au public. N’importe qui peut venir pour développer les projets, qui sont tous en lien avec le handicap. Cela peut être comment je fais pour ouvrir la porte quand mes cale-pieds de fauteuil m’en empêchent ? Un premier prototype est réalisé, pas forcément au point, puis il est testé et l’on pense à des améliorations possibles, par exemple un antidérapant au bout du crochet pour bien attraper la poignée de porte. Les stagiaires reçoivent des formations et documentent leur projet. Ils travaillent avec les bénévoles en faisant des recherches et expérimentations. Selon les projets cela met plus ou moins de temps et demande plus ou moins d’investissements.
Grâce à des petites solutions technologiques réalisées par des bénévoles dans le cadre de ces jeudis, cela permet à des étudiants, à des retraités, à des chômeurs, à des gens lambda de venir et de rendre service, d’avoir l’impression de servir à quelque chose. Il s’agit de fédérer des gens sur un projet qui a une utilité sociale pour autrui. Les activités de l’association sont financées par des subventions de Google, la Fondation de France, l’Agefiph et la Région Bretagne. L’idée est de diffuser cet état d’esprit et cette méthodologie de « Humanlab » à travers le monde.
« Avant d’essayer d’améliorer l’humain, apprécions déjà ce qu’on est et rendons nous compte qu’on est une machine absolument superbe qui nous permet de faire absolument tout si on s’en donne la peine d’apprendre. »
Céline Brulais
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