La vache qui pleure
Le samedi 13 octobre à Pacé, nous allons voir un documentaire intitulé Animal Machine suivi par un débat questionnant la surexploitation de la vache Holstein. Ce documentaire présente « l’exploitation de cette vache à lait » où comment la zootechnie à optimiser sa production pour répondre à une demande de masse. Triste sort pour cette vache qui a offert son corps à la science, malgré elle. Remplis de questions, nous nous demandons quelles sont les limites de l’exploitation industrielle de cette dernière, très répandue dans nos campagnes.
Nous avons donc choisi d’interviewer un chercheur de l’INRA sur l’élevage (ndlr : INRA : Institut National de la Recherche Agronomique) qui nous a fait part de son regard personnel sur ce sujet.
Le fait d’utiliser de nombreuses céréales pour nourrir les animaux est-il viable sur un plan écologique ?
Les co-produits des céréales oui, les céréales sans doute non. Mais la baisse de viande rouge au profit de la viande blanche (porc et volaille) renforce la consommation de céréales et d’oléoprotéagineux. Cela émet moins de méthane mais conduit à relarguer plus de CO2 des sols en recherchant des sols cultivables. Certaines études scientifiques récentes montrent que dans des scénarios extrêmes de réduction de l’offre alimentaire pour nourrir l’humanité, il faut garder encore des ruminants (beaucoup moins cependant) en raison de leur place dans l’écosystème pour valoriser la cellulose, mais réduire beaucoup plus les monogastriques et ne les alimenter que par des co-produits ou des sous-produits disponibles.
Selon vous, pour nourrir la planète convenablement, y’a-t-il, à l’heure actuelle et dans un futur proche, assez de bovins ? Ne faudrait-il pas que l’on mange moins de viande ?
Il faudra sûrement manger moins de viande par personne dans nos pays développés et c’est déjà le cas. Il faudrait en manger moins mais mieux : plus petites portions, moins souvent et de qualité. Dans d’autres pays, la consommation va augmenter avec le niveau de vie. Mais il faut surtout s’attendre à une augmentation de la production compte tenu de l’augmentation de la population qui sera plus rapide que la baisse moyenne de consommation.
Qu’est ce qui pollue le plus, les vaches ou les voitures ?
A priori les voitures et les camions. Un document répertorie les émissions au niveau mondial des différents secteurs concernés. Il montre que l’essentiel part de notre utilisation d’énergie est fossile (65%). Cependant l’agriculture qui parait faible est aussi associée au changement d’utilisation des sols (Land Use Change) qui est très émetteur en déstockant la matière organique des sols. Il faudrait éviter de perdre de la forêt… et de retourner vers des prairies. La question est aussi de savoir si on peut se passer plus facilement de manger ou de se déplacer ? Historiquement, nos voyages ne polluaient pas beaucoup et on avait des vaches au pré !
Ne risque-t-on pas de nouvelles crises sanitaires comme la vache folle, quand on voit la multiplication au travers du monde d’un modèle productiviste d’élevage bovin ?
On risque toujours des crises sanitaires. Il y en aura probablement d’autres et elles sont le plus souvent liées au non-respect de la réglementation. Celle-ci est de plus en plus sévère pour les fabricants afin de protéger les consommateurs. Il faut maintenir cette pression à tous les niveaux. Mais globalement, l’aliment n’a jamais été aussi sûr « à court terme » depuis que l’homme consomme. Les accidents sanitaires liés à l’alimentation étaient très nombreux avant le modèle productiviste. Simplement, leur impact était souvent plus local mais tuait parfois du monde. La qualité hygiénique du lait a longtemps tué beaucoup d’enfants, les maladies des céréales également (ergot, charbon…). Je dis court terme car il est possible que certaines molécules aient des effets encore inconnues à long terme.
Y-a-t-il des règles éthiques et déontologiques concernant la recherche génétique chez les bovins ?
Oui bien sûr ! Les comités d’éthique déterminent si les chercheurs peuvent ou non travailler sur un sujet dans un pays (par exemple, il n’y a plus de recherches sur les clones actuellement). Mais d’autres pays poursuivent ces recherches. Chaque expérimentation sur des animaux est soumise en France à un comité d’éthique qui indique si ce travail est « éthiquement » acceptable, d’une part pour les animaux expérimentaux, d’autre part pour les enjeux des recherches concernées. Le ministère donne ensuite un numéro d’agrément à chaque essai.
Existe-t-il des règles pour que les animaux soient traités convenablement ?
Il existe des chartes concernant le bien-être en élevage. Un projet européen « WELFARE QUALITY » a travaillé sur les indicateurs de bien-être et l’évaluation de celui-ci en élevage. Tous les élevages ne sont pas encore obligés de suivre tous ces indicateurs mais certains s’y engagent. La maltraitance animale est passible du pénal.
Pensez-vous selon vos recherches que le fait de mieux traiter les animaux est profitable sur un plan productif ?
Oui, le bien-être et la production ne sont pas opposés, bien au contraire. Beaucoup d’éleveurs sont convaincus de cela et « aiment » beaucoup leurs animaux, même si cela n’est plus tout à fait vrai dans les grands élevages de volailles. Les éleveurs laitiers les côtoient en permanence, les connaissent souvent individuellement dans nos élevages de taille encore réduite et ont tout intérêt à bien s’entendre avec leurs animaux de poids respectable. Par contre, il faut être capable de savoir dans quel état de bien-être se trouve l’animal. Nous avons souvent une vision anthropomorphique du bien-être animal, mais nous ne sommes pas des animaux. Des chercheurs essayent de trouver des critères objectifs qui permettent d’évaluer l’état de bien-être et de confort des animaux. La question qui émerge aujourd’hui est celle de savoir si sous prétexte de ne plus devoir donner la mort pour manger de la viande, l’animal ne devrait tout simplement pas vivre. Cela concerne aussi nos animaux de compagnies, grands carnivores !
Ne craignez-vous pas que les progrès de la génétique soient employés dans un avenir plus ou moins proche à l’être humain ?
C’est déjà fait et comme souvent il est plus facile sur un plan éthique de développer ces techniques sur les animaux que sur l’Homme. Mais il est fréquent que les techniques soient utilisées ensuite chez l’être humain. Mais comme souvent, une technique n’est pas bonne ou mauvaise en soi, c’est l’usage que l’on en fait qui est déterminant. La société tarde souvent à s’emparer des découvertes scientifiques et de leurs conséquences pour anticiper les mesures législatives ou réglementaires qui doivent encadrer ces usages. Il faut donc anticiper les usages possibles pour ne pas être pris de court une fois que les pratiques s’installent. C’est parfois fait, parfois non. Les manipulations génétiques ont aujourd’hui un cadre… en France. Mais ces progrès pourraient aussi être utile à l’Homme. Il y a des maladies génétiques graves qui sont terribles pour les personnes concernées et qui ne trouveront des solutions que dans des manipulations génétiques de l’Homme. A titre personnel, je crains donc les mauvais usages de ces progrès chez l’Homme (pas de clonage, pas de sexage, pas d’eugénisme) mais j’espère que l’on pourra utiliser les bons usages pour réduire les souffrances des personnes atteintes de maladies génétiques ou de maladies graves.
La vache est elle le miroir de l’homme ?
Je ne pense pas même si je ne suis pas sûr de ce qu’il faut voir derrière le terme miroir. Par contre, c’est un animal qui a beaucoup apporté à l’homme grâce à sa capacité à valoriser des aliments que l’homme ne peut pas consommer, en fournissant une force de traction, de la fumure, des stocks d’aliments mobiles (on peut se déplacer en zone instable avec des animaux, pas avec un silo de céréales), une « conservation » assez facile de l’aliment « sur pied », une nourrice pour les enfants dont la mère ne pouvait pas allaiter (malgré des risques sanitaires). Nous nous sommes co-développés pendant des siècles et nous devons sans aucun doute à la vache une part de notre humanité, tout en étant bien différents. Je vous conseille la lecture de « peuples du lait », un très beau livre si vous le trouvez sur votre route pour voir l’élevage sous toutes ses formes et pas seulement les extrêmes.
Triste vie pour cette vache, exploitée jusqu’à son dernier souffle et abattue pour servir de nourriture à l’être humain. On peut se demander si ce n’est pas l’être humain qui est inconscient et non la vache. « Science sans conscience n’est que ruine que l’âme », comme disait Rabelais. On est parti du concept cartésien d’Animal Machine. Maintenant ne va-t-on pas vers l’Homme Machine ?
Alexia Guizone & Richard Bourillon
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La vache qui pleure
Fais le toi même !