Le manga, contributeur au sexisme ?
Pour parler de la question de la place et de l’image des femmes dans les mangas, nous avons rencontré Hiromi Takahashi, enseignante-chercheuse en civilisation japonaise.
La culture manga offre un panel de personnages féminins aux décolletés plongeants, aux culottes échancrées, à la taille de guêpe et à l’attitude innocente. Certains personnages gagnent même des tailles de bonnet au fil des tomes, à l’image de Nami de One Piece. Sans pour autant nuire à la popularité des œuvres, ces caractéristiques peuvent nous choquer. Peut-on alors réellement considérer les mangas comme vecteurs d’images sexistes ? C’est en nous questionnant sur le sujet que nous avons rencontré Hiromi Takahashi, enseignante-chercheuse en langue et civilisation japonaise à l’université Rennes 2. Et l’intérêt qu’elle porte à la place des femmes au sein de la société japonaise nous apporte, en effet, quelques éléments de réponse plutôt significatifs.
Dès 1902, les premiers magazines illustrés posaient les bases du manga actuel, en séparant déjà les lecteurs féminins et masculins : il y avait le Shônen-kai (le Monde des garçons), et le Shôjo-kai (le Monde des filles). Les deux magazines traitaient de thèmes différents. Dans les magazines shôjo, les sujets abordés étaient la romance, le mariage et la maternité, tandis que dans les magazines shônen, on y traitait plutôt le défi, l’aventure, l’amitié et le sport. Tous ces thèmes ont fini par se retrouver dans les premiers mangas contemporains, à partir des années 1940.
Alors, effectivement, on peut affirmer que les mangas de l’époque étaient assez sexistes. Nous pouvons notamment citer le manga Ken Le Survivant (1983) : on y retrouve des personnages très musclés et virils dont le rôle est de sauver des filles en détresse. Notons une scène en particulier qui est assez choquante : on voit un personnage masculin expliquer à une fille qu’elle est « trop faible pour se battre », tout en lui arrachant ses vêtements de façon brutale afin d’appuyer ses propos. Sympa, non… ? Autre exemple, le manga pour filles Candy (1975) comporte pas mal de stéréotypes tels que la forte présence de la couleur rose, un personnage féminin innocent et candide, ainsi qu’une ambiance générale assez niaise et mélancolique.
Nous pouvons alors penser que cela est terminé aujourd’hui, puisque les mentalités ont évolué depuis les années 1980. Or, cela nous est tous arrivé au moins une fois dans notre vie d’apercevoir un personnage hypersexualisé en feuilletant le dernier manga à la mode… Mais alors, d’où vient cette obsession pour la sexualisation des personnages ? Hiromi Takahashi nous apporte la réponse : le « fan service », pratiqué par de nombreux mangakas, et souvent une écriture à destination des lecteurs masculins. Apparu dans les années 1990 avec le manga Sailor Moon, le fan service consiste à alimenter la passion des fans en rajoutant des éléments aux personnages (souvent à connotation érotique d’ailleurs). Ces détails ne sont pas utiles à l’intrigue, ils servent uniquement à faire plaisir et forcer le trait sur ce qui plaît particulièrement dans une œuvre. On retrouve du fan service dans beaucoup d’œuvres mais c’est encore plus flagrant dans les mangas à destination du public masculin : poitrines galbées, petites culottes apparentes, tenues hypersexualisées (comme Boa Hancock ou Nico Robin dans One Piece). Une autre explication à cela est le fait que les Japonais sont moins sensibles sur la question du sexisme que les Français. En effet, selon Hiromi Takahashi, le mouvement #MeToo a eu moins d’impact au Japon.
Tous ces éléments donnent, a priori, une image très genrée des mangas, et plutôt négative. À la question « les mangas sont-ils sexistes ? », la réponse semble donc déjà bien définie, avec un avis très tranché. Cependant, il y a toujours moyen de nuancer… car rien n’est tout noir ou tout blanc ! Et bien sûr, ce sujet n’échappe pas à la règle. Autrement dit : les mangas ne sont pas toujours sexistes, et il semblerait que dans certains cas, ce soit même tout l’inverse.
En effet, les personnages féminins sont plus nombreux après les années 1980, avec des rôles plus importants et moins stéréotypés. Nous pouvons par exemple citer le personnage de Sakura dans Boruto (2016) : cette femme indépendante et forte n’hésite pas à soigner les blessés au combat quand on l’appelle, en plus d’élever son enfant seule. Elle se bat également aux côtés de ses alliés. Autre exemple, C-18 dans Dragon Ball (1984). Elle est très puissante et énergique et a battu plusieurs personnages pourtant plus forts qu’elle. Et elle n’est pas hypersexualisée !
Conclusion ? Alors, bien sûr, nous ne pouvons pas nier que le sexisme est très présent dans les mangas, comme dans beaucoup d’autres domaines d’ailleurs. Il y a des choses à dire, et du changement à opérer, notamment au niveau des mentalités. Mais malgré cela, ce côté sexiste n’enlève rien à la qualité des œuvres, et c’est bien la raison principale pour laquelle on consomme toujours autant de mangas aujourd’hui. Car en dépit des polémiques, le phénomène manga continue de prendre de l’ampleur et d’attirer des fans, et cela ne cessera probablement pas de sitôt !
Morgane Kalusa, Dialan Nebolle, Lina Lebouc & Louise Hiebel
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