Plongée dans le grand bain de la sexualité des ados
Préliminaires est un documentaire d’une heure diffusé l’an dernier. Essentiellement basé sur des témoignes d’adolescents qui y évoquent l’exploration de leur sexualité, il nous livre des paroles authentiques, sensibles et parfois bouleversantes. Julie Talon, sa réalisatrice, nous a accordé une interview pour nous raconter le processus qui a mené à sa diffusion sur Arte.
Rien n’augure encore chez la réalisatrice des questionnements sur la sexualité chez les jeunes, avant d’en discuter un jour, par hasard, avec ses enfants. L’inspiration pour un documentaire germe dans son esprit alors qu’elle remarque qu’ils n’ont pas du tout la même définition qu’elle des préliminaires. Lorsqu’elle en parle avec le reste de son équipe de production, ils ne sont, eux non plus, pas très renseignés sur ce sujet, et donc sur la grande différence d’expériences qui sépare deux générations. Libérer la parole des adolescents pour s’adresser principalement aux personnes plus âgées et les faire se questionner, en devient d’autant plus pertinent.
Alors que le projet commence petit à petit à se concrétiser, Julie Talon a pour idée de rassembler des témoignages de jeunes, accompagnés d’une certaine expertise de spécialistes tels que des psychologues ou des sociologues. Il est aussi essentiel de piocher des témoignages dans différents milieux sociaux, c’est-à-dire en milieu populaire, mais aussi en milieu bourgeois. Rien que pour démontrer l’universalité des sujets abordés, et prouver que ces histoires n’arrivent pas qu’aux enfants des voisins.
Après ces repérages et l’écriture globale du scénario, il est temps d’aller sur le terrain pour recueillir les témoignages des jeunes. Le personnel des écoles a l’air ravi de la venue de toute l’équipe et les accueillent très bien, mais il n’en est pas encore de même pour les étudiants, qui ne semblent que très peu intéressés au premier abord, remarque la réalisatrice. Il est forcément difficile de s’ouvrir à quelqu’un que l’on ne connaît pas, surtout à propos de sujets aussi privés. Mais au final, pour obtenir leur confiance, Julie Talon use du respect et de la compréhension. Alors qu’elle leur explique son projet, elle fait attention à bien utiliser leurs termes, et surtout à mettre ses a priori de côté pour leur montrer qu’en aucun cas, ils ne seraient jugés. Cette mentalité qui reste absolument essentielle à la réalisatrice se ressent d’ailleurs dans tout le documentaire. On n’y retrouve pas une vision moralisatrice et condescendante de la jeunesse, que l’on peut souvent voir dans les réalisations destinées à la télévision et aux adultes.
Les étudiants commencent donc de plus en plus à lui faire confiance, et les témoignages affluent, jusqu’à avoisiner la vingtaine par jour. Beaucoup se confient sans tabou, parfois jusqu’à partager des parties de leur vie qu’ils ont gardées cachées jusqu’alors. De quoi bouleverser la réalisatrice qui écoute ces témoignages, mais qui ne peut pas pour autant se changer en psy face à tous ces jeunes. L’équipe continue tout de même à recevoir des flots d’histoires toutes plus variées les unes que les autres. Un profil de jeunes se manifeste alors en grande majorité dans les témoignages : celui des filles. On voit à l’écran qu’elles multiplient les témoignages sur de nombreux sujets, notamment l’influence de la pornographie et des réseaux sociaux, sur l’image de leur corps, le chantage sexuel lié aux nudes, le slut-shaming… Et encore beaucoup d’autres choses qui touchent toujours trop de jeunes filles. Julie Talon nous explique que l’on ne peut pas comparer le degré de violences sexuelles que subissent les femmes à celui que subissent les hommes, mais elle pense aussi qu’il y a une autre explication derrière le manque de témoignages de garçons dans son documentaire. Encore aujourd’hui, une injonction est toujours ancrée dans notre mentalité : celle que les hommes ne devraient pas exprimer leurs émotions. Ils évoquent bien parfois leurs performances sexuelles, la taille de leur appareil ou le nombre de positions maîtrisées… mais presque jamais leur sensibilité, leurs faiblesses ou leurs émotions. Comme si l’idée, dépassée, qu’un garçon devrait enfouir ses émotions était toujours ancrée en eux. « Si on veut faire évoluer les choses, il faut réfléchir au carcan dans lequel on enferme les garçons depuis des générations », estime Julie Talon.
Les jours et les témoignages défilent, et le tournage arrive bientôt à son terme, il ne reste plus qu’à incorporer au documentaire des avis de spécialistes. Cependant, après toutes ces entrevues avec les adolescents, Julie Talon change d’avis. Elle ne veut pas que les étudiants soient traités comme des sujets de test, comme des petites souris de laboratoire qui seraient étudiées par des scientifiques en blouse blanche. Elle a pour simple volonté de laisser les jeunes s’exprimer pleinement, sans condescendance ou distance inutile mise entre eux et le public. De plus, ce n’est pas si nécessaire que cela.
La réalisatrice note, à de nombreuses reprises, que la lucidité et la clairvoyance des jeunes est parfois scotchante, que cette génération se remet plus en question que celle qu’elle a connue, et que les témoignages se suffisent à eux-mêmes.
Au final, Julie Talon a appris bien des choses de ce tournage. Mais nous, qu’a-t-on à en tirer ? C’est à vous seul d’en décider, et seulement après l’avoir visionné. C’est d’ailleurs ce que la réalisatrice nous exprime à la fin de son interview : « Je pense que je n’ai pas de message à faire passer, pour moi un documentaire raconte une histoire et doit permettre une réflexion, une interrogation et une discussion. Je questionne mon monde mais je n’apporte pas de réponses. C’est à vous spectateurs de vous emparer du film. »
Elisa Poulain
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